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TRIBUNE – Avant de demander un prêt, choisissez bien votre conseiller bancaire

Par Jérémie Bertrand, Professeur de finance, IÉSEG School of Management et Aurore Burietz, Professeur de Finance, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management
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Nous l’avons tous déjà observé, et la littérature scientifique l’a largement démontré, les banques sont loin d’être uniformes. Certaines se spécialisent sur un domaine d’activité, quand d’autres font le choix de se diversifier ; certaines tendent à développer une relation de clientèle, quand d’autres préfèrent simplement octroyer des crédits ; et ces différentes formes influencent in fine le crédit que nous pouvons obtenir, surtout en fonction de nos propres caractéristiques.

Cependant, dans la plupart de ces recherches, si la banque peut changer son mode de fonctionnement, le chargé d’affaires est perçu comme un individu ayant un mode de fonctionnement qui lui est propre : il collecte et traite l’information de manière uniforme, dans le but d’émettre un avis. Mais est-ce vraiment le cas ? L’être humain n’est-il pas un peu plus compliqué que cela ?

Dans un article récent, nous remettons en cause l’idée que l’information est perçue et traitée de la même manière par tous les chargés d’affaires. Plus précisément, nous étudions leurs préjugés individuels quant à l’utilisation des différents types d’information existants et l’impact de ces préjugés sur le coût du crédit demandé. Les résultats sont sans équivoque : les préjugés influencent les décisions.

L’existence des préjugés individuels

Lors du processus d’octroi de crédit, les chargés d’affaires utilisent principalement deux types d’information complémentaires : une information quantitative, facilement analysable et vérifiable, telle que le salaire ou le chiffre d’affaires du client, souvent synthétisé par la notation financière de l’emprunteur ; et une information qualitative, telle que la motivation du client, qui ne s’acquière que par le développement d’une vraie relation de clientèle de long terme.

Dans notre article, nous avons eu l’opportunité d’interroger 32 chargés d’affaires d’une banque française à propos de l’importance qu’ils accordent à ces deux types d’information lors de leur prise de décision. Les enquêtés devaient donner leur réponse sur une échelle de Likert allant de 1 – pas du tout d’importance – à 5 – forte importance. À travers cette étude, nous démontrons que tous les chargés d’affaires n’accordent pas la même importance aux deux types d’information, mettant ainsi en évidence l’existence d’un préjugé.

Par exemple, les femmes considèrent en moyenne que la relation de clientèle est très importante et qu’elle doit être prise en compte lors de l’analyse en complément des données quantitatives brutes. A contrario, les chargés d’affaires avec de l’expérience ou ayant un niveau d’éducation plus bas ont tendance à favoriser cette information quantitative dans leur décision, plutôt que la relation avec le client.

Au-delà de ces différences, nous démontrons que ces préjugés influencent l’utilisation de l’information en tant que telle, et jouent ce qu’on appelle un effet modérateur. Plus particulièrement, les préjugés semblent exacerber l’utilisation d’une information : « parce que je pense qu’elle est importante, je vais avoir tendance à surutiliser cette information ».

En effet, un chargé d’affaires qui pense que l’information quantitative est importante aura tendance à négliger l’information qualitative. Cela a pour conséquence une moins bonne évaluation de la clientèle et un comportement du chargé d’affaires moins discriminant, plus homogène. Si cela peut être profitable aux individus ayant une mauvaise qualité de crédit et représentant un risque plus élevé, cela joue en la défaveur de ceux de très bonne qualité. En effet, ces derniers ne profiteront pas d’une information qualitative, leur permettant d’obtenir encore de meilleures conditions de crédit.

De manière intéressante, un chargé d’affaires qui se focalise sur l’information qualitative, aura tendance à systématiquement fournir un crédit à un taux plus faible. Une explication potentielle est que ces chargés d’affaires utilisent de manière complémentaire les deux informations et ont ainsi une meilleure évaluation du client : ils sont d’un naturel plus « humain » et donc plus « cool ».

Adapter son discours

Ces conclusions soulignent un manque d’harmonisation dans le processus d’octroi de crédit qui varie selon les informations disponibles mais également en fonction du chargé d’affaires qui traite le dossier de demande de financement. Autrement dit, le même client peut obtenir deux décisions différentes selon le chargé d’affaires, et ce au sein d’une même institution bancaire à cause de l’existence de préjugés qui viennent altérer la prise de décision du chargé d’affaires.

Alors, dois-je donc demander un crédit à un chargé d’affaires expérimenté ou non ? Doit-il être issu d’un master ou d’une licence ?

Bien évidemment, la question est un peu plus compliquée que cela, simplement car il n’est parfois pas évident, ou alors pas de notre ressort, de choisir son chargé d’affaires. Cependant, sachant que chacun analyse l’information de manière différente, on peut alors adapter notre discours et insister sur certains éléments plutôt que d’autres afin de mieux valoriser notre dossier.

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