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TRIBUNE – Quelle politique pour une banque centrale face à des agents économiques ?

Par Camille Cornand, Directrice de recherche en économie, CNRS, chercheuse au sein du GATE, Université Lumière Lyon 2 et Rodolphe Dos Santos Ferreira, Professeur émérite, Université de Strasbourg

La politique monétaire des banques centrales consiste pour une large part à gérer les anticipations des agents économiques. La politique de forward guidance (guidage prospectif) constitue ainsi un exemple emblématique d’instrument de gestion des anticipations : en divulguant des informations sur sa politique future, la banque centrale vise à influencer les anticipations du marché sur les taux directeurs futurs – et par conséquent sur les taux d’intérêt à long terme des banques – ainsi que les anticipations d’inflation des entreprises.

Or, les anticipations des agents se caractérisent souvent par une confiance excessive, possiblement en réponse à des considérations clairement motivées. Dans le cas des entreprises, leurs dirigeants peuvent en effet être tentés d’interpréter tendancieusement les informations dont ils disposent de manière à conforter leur optimisme, qui leur laisse espérer des profits plus élevés.

Par exemple, ils peuvent de façon plus ou moins consciente choisir de moduler leurs croyances, en attribuant à leurs informations ou à leur capacité de les traiter plus de qualités qu’elles ne possèdent réellement, de manière à rendre leurs prévisions plus avantageuses, quoique moins réalistes.

Wishful thinking

Ces croyances motivées qui maximisent les résultats espérés caractérisent le wishful thinking, c’est-à-dire le fait de prendre ses désirs pour des réalités, lequel affecte naturellement la manière dont sont fixés les prix des biens offerts sur le marché. Dans ces circonstances, comment les politiques de communication et de stabilisation des banques centrales peuvent-elles corriger les distorsions ainsi induites dans la fixation des prix par les entreprises ?

Une étude récente que nous avons menée s’intéresse précisément à la manière dont la banque centrale devrait ajuster ses politiques de communication et de stabilisation pour tenir compte du fait que les prix sont fixés par des dirigeants d’entreprise trop confiants dans la qualité de leur information privée ou dans leur capacité de traiter l’information en général.

Dans notre modèle, les dirigeants d’entreprise sont confrontés à un dilemme : soit ils acceptent des perspectives réalistes mais peu encourageantes ; soit ils surestiment la précision de l’information, ou leur capacité à la traiter, pour aboutir à l’espérance de meilleurs résultats, mais au risque de prendre des décisions trop optimistes et finalement coûteuses.

La prise en compte de ce coût – d’autant plus élevé que l’information privée est effectivement précise, donc pertinente, par rapport à l’information publique diffusée par la banque centrale – conduit en fait les dirigeants d’entreprise à un compromis entre réalisme et optimisme gratuit.

Néanmoins, la confiance excessive dans la composante privée de leur information se traduit par un poids trop fort attribué à cette composante lors de la fixation des prix. Il en résulte une dispersion accrue des prix d’un même produit, source de diminution des profits réalisés par l’ensemble des entreprises et plus largement de détérioration du bien-être global.

Limiter l’excès de confiance

Pour minimiser la dispersion des prix, la banque centrale s’appuie sur la transparence de sa communication pour coordonner les dirigeants d’entreprise dans la fixation de leurs prix. Cependant, cet avantage de la transparence lié à l’accès à une information publique non ambiguë ne tient plus lorsque les dirigeants surestiment la précision de l’information privée dont ils disposent.

En effet, l’amélioration de la qualité de l’information publique réduit le coût pour les dirigeants de leur excès de confiance dans l’information privée. La tendance est alors pour eux d’accroître encore cette confiance et de s’appuyer davantage sur l’information privée lorsqu’ils fixent leurs prix, augmentant ainsi la dispersion de ces derniers. C’est pourquoi la banque centrale doit plutôt opter pour un degré intermédiaire de transparence.

Lorsque la politique de communication est complétée par une politique de stabilisation basée sur la régulation de la masse monétaire et orientée vers la compensation des chocs fondamentaux, l’opacité s’avère en principe préférable à la transparence. En effet, les dirigeants d’entreprise sont ainsi incités à se coordonner sur l’observation de l’action régulatrice de la banque centrale, en se détournant de toute autre source d’information.

Cependant, si ces dirigeants ont tendance à trop confier dans leur capacité de traiter l’information, l’opacité aggrave cette tendance en réduisant le coût de leur optimisme et cesse d’être un rempart efficace contre la dispersion des prix. Il est donc optimal pour la banque centrale d’opter pour un compromis entre opacité et transparence, tout en procédant à une compensation partielle des chocs fondamentaux.

Au total, un niveau intermédiaire de transparence et/ou de stabilisation permettrait aux dirigeants d’entreprise d’avoir accès à une information sur les chocs fondamentaux prodiguée par la banque centrale, tout en limitant l’effet néfaste de l’excès de confiance de ces dirigeants dans la qualité de leur information privée.

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